Roman
10 ans au manège, 6e partie


En juin 1997, Roman a rejoint notre écurie pour compléter un ensemble de chevaux pies tels que Shaguy, Topiliuk, Mawatchi, Katanka, Condoro, El Dinch, j'en oublie peut-être. Cette cavalerie aurait pu participer à un spectacle dont le thème était l'Ouest et les peuples natifs d'Amérique du Nord. Mais ce projet ne vit jamais le jour.
Pie de belle taille, il mesure 1m 67, Roman est né dans une ferme condruzienne, une magnifique exploitation laitière avec une vaste cour carrée au centre de longs bâtiments de pierres bleues. Le fermier trimait dur, son épouse aussi. Elle s'occupait d'une vingtaine de chevaux.
Un élevage, quelques pensions et d'épisodiques leçons formaient son fond de commerce.
Commerce si l'on veut, car on constatait au premier coup d'śil qu'il était impossible de rentabiliser cette partie équestre de l'entreprise agricole. D'ailleurs, le marchand qui m'avait renseigné le cheval m'avait prévenu :
«  Tu vas voir, c'est une femme très spéciale. Elle aime tellement ses chevaux qu'elle ne se résout jamais
à les vendre
 »
Il n'avait pas tort.
D'habitude, la plupart des vendeurs présentent leurs produits d'une façon outrancièrement favorable.
De modestes tâcherons deviennent souvent dans la bouche de ceux qui les vendent de très probables vainqueurs de prestigieux championnats ou même des médaillés aux Jeux olympiques. En cette circonstance, certains ne doutent de rien. On en reste parfois abasourdi !
Après nous avoir accueillis au mieux, immédiatement cette charmante dame me dit : «  vous allez voir, mon Roman, ce n'est pas un fameux modèle !  Et il n'est pas facile à manipuler !»
On sort le pie de son box. Ma foi, je lui trouve un modèle qui en vaut bien d'autres.
« Bon évidemment, il n'a pas des allures pour gagner des médailles » ajoute t'elle.
On trotte dans la cour et là c'est vrai il n'a pas beaucoup d'amplitude, il est terne.
Néanmoins, il prend la main de son trotteur et s'enfuit sur la route ! On le récupère et elle me dit encore « Je vous l'avais dit, il n'est pas gentil ! » On a compris.
L'essai s'est poursuivi de la même façon pendant une demi-heure. Obstacle en liberté : 
« il n'a aucun style, je ne vous mens pas » Travail à la longe : « il ne tourne pas bien à droite, je me demande s'il n'a pas mal au postérieur droit ». Pendant ce temps-là, le mari vaquait à ses occupations, mais on le devinait attentif. Il surveillait sa femme !
Sans doute en avait-il un peu assez que les vaches paient l'avoine des chevaux. Il y avait un acheteur, il fallait réussir une vente et récupérer quelques sous, même si ce n'était pas tout à fait l'opinion de son épouse. Je m' interroge encore sur ce qu'elle a pensé quand j'ai annoncé : «  Je le prends ! » Elle a eu l'air très étonné et a demandé à mon accompagnateur si le cheval serait bien chez nous…
Roman n'était pas débourré, elle tenait à l'éduquer elle-même tant elle redoutait que nous malmenions son chéri.
Il fallait le castrer. Elle voulut aussi que son vétérinaire s'en occupe «  à notre manière ». Elle se chargeait également du transport. Le tout après que nous nous soyons accordés sur le prix, ce qui entrainait un total de manque à gagner de 400€ au moins ! On devine la tête de l'époux .
Vraiment l'achat le plus particulier de ma carrière !
Un mois plus tard, Roman est arrivé au Bois du Roi, débourré, castré et… têtu !
Il lui arrivait de se montrer obstiné comme personne. Un jour, monté par Marie Lonay, il refusa pendant 45' de descendre la toute petite butte qu'on appelait « le tombeau du dinosaure »
Une autre fois, malgré toute ma détermination, il fut absolument impossible de traverser un ruisseau et une nombreuse colonne dut accomplir un détour. Heureusement, grâce à la patience et au travail cette agaçante disposition s'atténua et finit par disparaître, comme souvent avec les chevaux.
Marie Lonay s'occupait beaucoup de Roman. Elle le montait en dressage et ce n'était pas mal du tout.
On lui apprit à sauter. Il ne provoquait pas de difficultés avec les novices. En somme, il devint un très bon cheval d'école, rôle qu'il tient maintenant depuis onze ans.

Roman endurait la galle estivale, une allergie due à des insectes. Généralement, une maladie qui s'aggrave d'année en année… Mais surprise, le gentil Roman qui était fortement atteint à 5 et 6 ans a vécu un processus inverse. Chaque été, il devenait moins sensible aux allergènes ! Il est maintenant pratiquement guéri, sans traitement. C'est le seul cas semblable que je connaisse. Mystérieux, mais il y a tellement de domaines concomitants aux chevaux qui n'ont pas été explorés et encore moins élucidés que cela ne m'étonne pas.

Ce genre d'équidé n'est pas souvent considéré comme un champion… et Roman n'est pas un champion.
Mais quel cavalier n'a pas commencé sur un Roman ? Les chevaux plus performants sont presque toujours trop chauds pour des reprises de débutants de telle sorte que sans nos braves chevaux d'école, on ne pourrait plus mener les initiations à bien. A long terme tout s'arrêterait ! Absolument tout, même le plus haut niveau !



Michel Lequarré




[contact : Manège@boisduroi.be ] 24, La Heydt 4608 Warsage Tél : 04/ 376 66 79
Mise à jour : 18-déc-14 ]