Sahid au Championnat du Monde

La Belgique 5e par équipe

 

Mardi 21 août

En début de saison, avec Ali, nous avions pensé choisir Florac plutôt que le Championnat du Monde.
Les deux courses se disputent à 15 jours d’intervalle et il n’était pas possible de participer
avec Sahid  à la fois dans les Cévennes et en Angleterre. (On compte au moins 10 semaines
de répit entre deux 160 km). Mais au fil du temps, le prestige d’une désignation me titillait
de plus en plus.
Aussi après l’habituel et trop long suspens, quand la sélection de l’entraineur national,
Pierre Arnould est tombée, j’étais content d’en être.

Ali prépare le voyage. Départ demain vers Euston Park (30 km au nord de Newmarket) à 4h 30’ !

Mercredi 22 août

Avec un van, la traversée de la Manche coute assez cher. Afin de répartir les frais,
outre Sahid des Fontaines, nous emmenons l’alezan de Pierrot Di Geronimo,
le fameux Mengali. Voyage sans problème et en début d’après-midi, les chevaux
trouvent leur place dans l’écurie. Il y a foule, avec beaucoup de délégations que nous
fréquentons généralement peu. Uruguay, Chili, Argentine, USA, Canada
et d’autres Américains du sud et du centre, mais aussi le Japon, le Pakistan, l’Australie…
En tout 40 pays sont représentés.

Après le sommeil amputé de la nuit, je me sens fatigué. A 15 km, le team Belgique
loge dans une vaste maison, annexe d’un hôtel. Les chambres confortables
et abordables (pour l’Angleterre !) conviennent. Cependant on partage la demeure
avec beaucoup de monde. Rien que des bonnes volontés, mais une atmosphère
plus calme préserverait les cavaliers.

Jeudi 23 août

On n’a pas lésiné afin de donner à cette manifestation mondiale tout le prestige qu’elle mérite.
Ce championnat se déroule en Grande-Bretagne, mais en réalité,  il s’agit une organisation
des Emirats Arabes Unis. Les infrastructures (splendides) sont érigées sur une propriété
de Sheikh Mohammed (leader de Dubaï) et les moyens mis en œuvre ne laissent aucun doute ! 

Le soir, la cérémonie d’ouverture bénéficie d’un spectacle son et lumière à gros budget.
La sono fait un peu mal aux oreilles, mais les jeux de lumière sur la façade du château
et la pyrotechnie émerveillent.
Mario Lurashi assure la composante équestre. Longues et jolies crinières, d’accord.
Pour le surplus, quelques gesticulations frénétiques. Une déception. Comme ce qui a précédé
le début du protocole. Quand le service d’ordre nous a empêchés de nous rendre à
nos places pour que les gens du golfe nous devancent. Eux, puis nous après ! 
D’ailleurs, on a évité un clash de peu. Les cavaliers de tous les pays excédés d’attendre
une heure et trente minutes, debout, sans nouvelles, ont failli tout planter là en ne défilant pas.
 
Le matin, nous avions monté une heure calmement. Pour le reste, on a langui.
En plus, j’ai oublié journaux et magazines en français.

Vendredi 24 août

Six couples. Pierrot DI GERONIMO  et  SD Mengali, Wendy FALLON  et Karapie d’Alenthun,
Maritza PEREIRA  et Lima du Barthas, Julien VAN CAUTER  et Alnasar Adit,
Raphael VAN CAUTER  et Taborah de Sier ainsi que Sahid et moi.
Quatre d’entre nous constitueront l’équipe, tandis que les deux autres
concourront pour eux-mêmes. Chacun espère composer le quatuor, car le niveau est si relevé
qu’une présence d’un Belge sur le podium individuel se conçoit difficilement.
Par contre collectivement, avec de la réussite, nous pourrions accrocher une médaille.
Comme notre trophée en bronze au Championnat d’Europe l’année passée.
Mais Pierre Arnould n’a pas lâché le morceau et nous ne savons rien.

Avant midi, 75’ d’équitation. Sahid à l’air en forme. Manière d’évacuer un peu de pression,
il lance quelques ruades. Demain, à 7heures au départ, j’aimerais qu’il se tienne tranquille
quand 153 pur-sang débouleront au galop.

Avant le contrôle initial, le staff s'énerve. On prodigue des soins de dernières minutes.
La tension franchit plusieurs crans, puis redescend quand les six montures sont acceptées.
Parfois l’équipe belge frétille d’un côté légèrement surréaliste!
Comme d’habitude, grâce à Ali, Sahid a très bien trotté.

Le soir à table, Pierre Arnould annonce enfin les quatre.
Pierrot Di Géronimo, Maritza Perreira, Raphael Van Cauter et moi défendrons
les couleurs nationales. Nous devrons courir unis ou proches les uns des autres
à 18 km/h de moyenne. A cette vitesse, si les formations du top subissent des éliminations,
nous serions en mesure d'accéder au podium. Une vision que je partage pleinement.
Grâce à un bon Sahid, j’espérais une position finale entre 10 et 20.
Maintenant que je connais la liste de départ, je nous imagine vers la 25e place.
Si tout va bien. On verra !


Le briefing avant la course



Samedi 25 août

Pas de petit déjeuner ! Le restaurant officiel ouvrira à 8 heures annonce une pancarte.
Pas de café ! J’enrage en grignotant des biscuits. Pourtant, j'avoue que l’organisation
atteint par ailleurs la meilleure qualité. Tout est super !

Faire partie d’un peloton de 150 couples qui s’élance dans la brise du soleil levant
sur une large plaine constitue une expérience enivrante. Mais si votre cheval vousse le dos,
s’agite en tous sens et vous emmène à un rythme échevelé, votre exaltation se limite à tenter de
demeurer sur la selle ! On a parcouru 100 mètres, quand un noble
du Barhein reçoit un coup de pied qui lui brise le tibia.
Un équin hollandais se fracture un membre et sera euthanasié !
Le moment dangereux passe, la colonne se cale à 20 km/h, tandis que les favoris
prennent déjà du champ.

Comme prévu, nous avançons ensemble. Maritza en a plein les mains. Pierrot et moi tentons
de ralentir notre équipe, car au jalon 5km, nous possédons 3 minutes d’avance par rapport
aux consignes. Puis 8 minutes aux 20 km, occurrence choisie par Maritza qui disparaît vers
l’avant. Nous ne la reverrons plus. Avec Lima déchainée, elle réussira une performance
de haut vol : 12e à 20.45 km/h !

Au terme de cette première ronde, ayant fait route commune Pierrot et moi,
nous naviguons aux alentours de la 65e position à 19.50.
On vient de comprendre la vraie valeur du plateau !

Cette région de campagne anglaise me plaît. Les bosquets et les haies encerclent
de grandes parcelles de céréales moissonnées. Les balles et les cubes de paille pressée forment
un immense jeu de lego éparpillé sur l’ocre. On traverse des parcs magnifiques qui
entourent les manoirs des lords. On patauge plusieurs fois dans la rivière.
Des étangs sont couverts de nénuphars. Les chemins doux amortissent les foulées de nos arabes.

Nous ne nous quittons pas Pierrot et moi. Un homme prudent qui maîtrise le sens de la course.
Et qui bougonne sur tout et sur rien : « Ils vont vite. On en reprendra beaucoup à la fin. Je te le garantis ».
Au fil des étapes, nous surmontons sans encombre les tests vétérinaires.
La compétition va, rapide, mais sereine. Tout en respectant la vitesse prévue de 18 km /h,
Sahid comme Mengali restent véloces, pleins d’entrain. Raphaël Van Cauter nous
précède de quelques minutes. A l’issue de la 3e boucle (97e km), l’équipe belge pointe
au 10e rang sur 29. Maritza a chuté. Elle souffre du  dos et marche comme une personne âgée. Courageusement, elle repartira à l’assaut vers son 12e prix.

Nous croisons la tête. Cheikh Mohammed tiré par Maria Alvarez et le fabuleux Noby
(17 ans, vainqueur des quatre derniers championnats !) plus un ou deux autres Emiratis,
un Barheimi… On dit bonjour. Personne ne répond.
Ils disposent d’une heure et 10’ d’avance sur nous.

Il commence à pleuvoir. Bien dru. Mais je n’ai pas froid. Mon hongre gris galope.
Je me sens serein. Grâce aux éliminations, nous remontons dans le classement.
Mais si sur la piste nous dépassons quelques concurrents, d’autres, une quinzaine
sur les 40 ultimes bornes, nous laissent sur place. Le niveau de ce Mondial est incroyable !

Au départ de la partie terminale (20 km), tandis que les deux Belges « individuels »
ont dû se retirer pour boiterie, la Belgique s’affiche 5e par équipe.
Les Emirats et la France déjà certains de leurs breloques d’or et d’argent pavoisent.
Nous pouvons encore supplanter le Sultanat d’Oman et les USA.
Il pleut de plus belle. On glisse un peu. Mengali et Sahid progressent de concert.

Vers le 155e km, mon gris demande une pause. Il faut souffler. Pendant que je marche
quelques instants à côté de mon valeureux, Pierrot s’éloigne avec un trio qui vient
de nous rejoindre. Il a raison. Même s’il ne nous reste qu’une petite chance,
nous sommes tenus de nous obstiner pour l’équipe.

Sur cette allée rectiligne dont je ne distingue pas le bout, il n’y a plus personne, ni devant,
ni derrière. L’orage gronde. Des filets d’eau ruissellent sur l’encolure de Sahid.
La boue colle aux chaussures. Je pense à la glorieuse incertitude du sport !
On repart au trot.

En voyant les chapiteaux du site, mon formidable arabe saute dans un agréable galop.
Une paire d’heures avant, en cet endroit noir de monde, on fêtait la victoire de Sheikh Mohammed.
Maintenant la nuit tombe. Les averses et l’attente ont dispersé la foule.
A part le clan belge, chaleureux, solidaire et unanime qui me félicite sincèrement,
Sahid satisfait au contrôle final dans l’indifférence générale, 43e place à 17.76 km/h.

Le Sultanat d’Oman conserve la médaille de bronze.
La Belgique obtient un honorable 5e prix par équipe.
Raphaël Van Cauter réussit un beau coup avec la vieille Taborah (16 ans) en décrochant
le 22e rang à 19.53 ! Une prouesse de cette minuscule jument née à Moresnet.
De son côté, Pierrot Di Géronimo en termine 40e.

A cause de l’orage (pas si violent pourtant) on neutralise l'épreuve.
A partir du 53e, les cavaliers sont classés sans avoir parcouru l’entièreté de la distance.
Je n’avais pas encore vécu pareille circonstance. Il paraît qu’il s’agit d’une exigence de
la police pour raison de sécurité.
On finira par craindre que l’érosion d’un pipi de chat provoque un glissement de terrain ! Passons !

Si on voit le verre à moitié plein, on dira que se hisser 43e de tous les enduranciers de la planète,
ce n’est pas rien !
Mais honnêtement qui se réjouit d’une 43e place ?
Il faut avoir les yeux en face des trous. L'endurance approche maintenant des sommets.
En deux ans, entre le championnat de Lexington et celui-ci, avec des reliefs similaires
(quasiment plats), on constate 2.5km/h de différence sur la moyenne des classés ! Enorme !

Merci à Alienor Linotte et à Julie Kinna qui m’épaulent de main de maître sur les compétitions
et pendant les préparations. Elles composent une équipe enviée.
Merci au staff belge et merci au maréchal ferrant Pascal Lejeune.

Michel Lequarré


Avant de repartir sur la 5e boucle. Les dernières consignes de Pierre Arnould.
Avec Pierrot Di Géronimo, nous avons fait la course ensemble.