Endurance 2002-2015

Deux projets sportifs entremelés


La plus ancienne photo "endurance", en 2004 à Bierbeek, Alienor linotte monte Habibaté, et je suis sur Jumanji.

Deux objectifs

Quelques semaines après une première participation en endurance,  je me suis
fixé deux objectifs. Tous deux d’apparence présomptueuse. Premièrement, je me
donnais six ans pour intégrer l’équipe nationale. Deuxièmement, au cours de cette
période je mettrais en course dix chevaux, arabes ou part arabes, hongres
(il n’y a pas de jument à la maison), de 4 à 9 ans afin de montrer que le hasard
génétique demeure en fin de compte le principe essentiel de qualité.

En mai 2002, après cinq  ou six saisons de concours complets durant lesquelles
je m’étais énormément investi avec l’aide immense d’Anne-Françoise Deckers,
la victoire que j’espérais (l’actuel niveau 1*) survint et ma motivation de travailler trois
chevaux chaque jour disparut. Il fallait autre chose.

J’appréciais les promenades sportives de plusieurs heures.
Nous possédions  trois pur-sang arabes et deux part-arabes dont l’activité
pour l’école constituait probablement une bonne base d’entrainement. Ces éléments
semblaient propices en endurance, d’autant qu’Alienor Linotte avec ses compétences
exceptionnelles et  sa force inépuisable s’intéressait au projet.

Le 25 aout nous nous sommes rendus à Gougnies pour une 50 kilomètres.
( A l’époque le règlement était différent.) Habitués aux jolis sites des épreuves
nationales de concours complet, nous sommes tombés de haut. Tout paraissait
moche et réalisé avec des bouts de ficelles. Des cordes à ballots délimitaient
les aires.  Le niveau moyen des cavaliers semblait nettement en dessous des normes
en complet, dressage et obstacle. Cependant qu’ont-ils dû penser ceux qui nous
observaient ? Avec notre matériel inadapté, notre absence d’intendance,
notre ignorance manifeste de ce que nous prétendions entreprendre ?
Nous avons bouclé les 50 km à 13.22 km/h, mangé une mauvaise saucisse et nous
sommes rentrés chez nous peu décidés à poursuivre l’expérience.
Pourtant nous nous sommes alignés deux nouvelles fois cette saison-là.
Ali montait Habibaté et moi Cielak.

Durant les deux années suivantes, il ne se passa pas grand-chose. Les petites
courses nous intéressaient en vue des plus grandes. Nous voulions seulement
qualifier. Notre maitrise des techniques d’entrainement et de tout ce que les
enduranciers confirmés pratiquent ne progressait pas beaucoup. Nous aurions
eu besoin d’un coach, mais nous ne nous en apercevions pas. Je tâchais
de m’informer, notamment sur le site internet de Léo Liesens  où il expliquait (fort bien)
l’abc et beaucoup plus. Petit à petit, nous connaissions quelques anciens.
Je me souviens de conversations enrichissantes avec Jacques Boulanger,
double champion de Belgique.


Derrière les statistiques, des milliers d’heures d’entrainement et de petites courses qualificatives.
Comme ici à Châtillon en 2004. Je sellais Kwinjy, Ali monte May-By.


En général, nous nous entendions bien avec la communauté endurance
et découvrions qu’elle vivait surtout grâce à quelques familles de passionnés
où l’on cultivait de belles et fortes valeurs. Rien n’a changé aujourd’hui. Et puis,
nous étions mal tombés à Gougnies. La plupart du temps les organisateurs
obtenaient un résultat acceptable malgré des moyens dérisoires. Les jeunes
cavaliers les plus avancés montraient une équitation correcte. Peu à peu l'intérêt
pour l’endurance nous gagnait…

Fidèle à mon plan, nous lancions les chevaux disponibles et j’en achetais d’autres,
maximum 4000 €, souvent moins. Peu importait les origines pourvu qu’ils répondent
aux critères cités plus haut si le modèle me plaisait. Travaillés, nourris, mis en
compétition de manière identique, l’idée était que sur le nombre, un sujet excellent
finirait par émerger.
En 2003, Kwinjy, May-By, Sheytan, Jumanji, Samhiro et Le Hibou se sont ajoutés
à Habibaté et Cielak.

En juin, j’évoluais en tête d’une 90 km sur Cielak quand Jean-Marc Lamolle,
à l’étonnement général le jugea boiteux. Malgré le soleil caniculaire,  Jean-Marc
ne portait pas de chapeau. Je suppose qu’il souffrait d’un début d’insolation !
Je fus pris d’une rage extraordinaire avec esclandre à l’appui. Plus tard, j’appris
à apprécier l’homme et ses compétences, mais j’avais découvert un des grands
problèmes de l’endurance : l’inévitable subjectivité des vétérinaires. Tous les
enduranciers savent de quoi je parle… Et les vetos aussi ! Car à partir de quelle
irrégularité un cheval sort-il de la norme ? Là-dessus, on peut passer des nuits à ergoter !

En juillet, il y avait une CEI 2* 120 km à Theux, notre première CEI. Rapides doubles
éliminations pour boiterie. Sûrement pas à cause de la vitesse, car je me souviens
m’être arrêté quelques minutes devant une terrasse afin de déguster une boisson
fraîche ! C’est dire notre état d’esprit à cette époque.

Fin de saison 2003, Cielak qui n’avait jamais pu dépasser 80 km fut le premier à être retiré du programme. Il sera suivi en 2004 par Le Hibou, bizarre, muni de mauvaises jambes
et par Samhiro, acheté en confiance chez un arnaqueur qui l’avait probablement infiltré.

Le Hibou est gravé dans ma mémoire en raison d’une particularité. Chaque fois
que l’on tournait à gauche selon un angle de 90° ou plus, il s’acculait juste après
le virage. A gauche, 90°, uniquement dans ces cas-là !

Vrais débuts

En 2005, nous avions peu évolué, il restait 3 ans pour intégrer l’équipe nationale !?
Toujours pas d’intendance et nous bridions encore en course avec du cuir.

Sans que nous nous en rendions compte, une étincelle survint en mai, à Hour
quand Habibaté (Ali en selle) termina facilement second d’une 80 km avec
32 partants. J’entendis un véto très expérimenté murmurer à son collègue :
« rare de voir un si bon cheval ! ».
En juillet, première 100 km. Peu de concurrents. Rapidement isolé, je parcourus
les 70 derniers km seul alors que pendant tout ce temps,  trois minutes devant
une paire de chevaux auraient été d’un grand réconfort si j’avais demandé un effort
pour les rejoindre. Une preuve supplémentaire de mon ignorance !
Tout à la fin, je sollicitai un sprint de 500 mètres afin d’évaluer les forces d’Habibaté.
Il fila  comme un vent de tempête.


Habibaté quelques semaines avant le Chapionnat de Belgique 2005 accomplit son travail pour l"école.
A gauche, au derby avec Aurélie Charlier et aidant Julie Kinna à réussir l'étrier d'or.


Le championnat de Belgique sur 160 km avait lieu à Peer le 30 juillet 2005.
Le 21, Habibaté qui vivait en stalle participa hors concours à une 60 km avec
mon ami et élève Hubert Urlings qui paya 50 € pour la location.
(Tous mes chevaux travaillaient régulièrement au manège). Il y eut une discussion
entre ma femme, Ali et moi concernant le championnat. Fallait-il y  inscrire le petit gris ?
Curieusement, Marie-Anne prêcha pour la 160 km. A juste titre, Ali préconisait
d’avancer par palier, de miser prudemment sur la 120 km. Finalement, Habibaté
ayant déjà 12 ans, nous choisîmes le championnat.

Passer d’un coup de 100 à 160 bornes constituait  un fameux défi. Je n’avais
qu’un rêve : terminer.
Une semaine avant la course, à ma grande surprise, Emile Docquier et Kristel
Van den Abeele me proposèrent d’assurer l’assistance. Jusque-là je n’avais
perçu que le côté rogue d’Emile et ses commentaires du genre : « Qu’est-ce
que tu amènes encore comme mauvais cheval à cette course ? »
Mais il connaissait le sujet. D’ailleurs Kristel s’est forgé par la suite le plus beau
palmarès de l’endurance belge. Il me dit : « Je fais ton assistance. Tu exécutes
tout ce que j’exige. Ton petit poney me plaît »
. Les dispositions me convenaient,
bien que j’explore encore aujourd’hui les justifications d’une telle générosité
venant d’un homme si peu enclin à favoriser une autre écurie que la sienne.

Quoi qu’il en soit, Ali accompagnée de Jacqueline Brisy allait apprendre l’assistance
pour une grande course. Je terminerais ma première 160 km et entrerait dans le
cercle fermé du sport équestre de haut niveau. Le vrai coup d'envoi. Le début
d’une période riche et émouvante.

Habibaté (1.47m) tirait toujours beaucoup. J’avais souvent les mains douloureuses,
mais de cette première boucle je ne me rappelle ni du départ, ni de l’humeur du
cheval, ni de rien. Seulement l’image des rayons obliques du soleil levant à travers
les feuillages, les lapins qui dévalaient des talus. Le bruit sourd des battues
sur le bon sol, et Emile, à la fin, satisfait de me voir arriver à 4 minutes des premiers.

A l’amorce de la seconde étape, le groupe des leaders perdit le balisage et environ
15 minutes. Aucune trace, malgré les flèches qui se succédaient,
je m’imaginais égaré. Au point d’assistance, confirmation, je navigue aux avant-postes.
Persuadé d’être rejoint, cela ne me faisait ni chaud ni froid. Finir ! Je ne pensais
à rien d’autre. Habibaté se promenait, allures souples, rênes demi-longues. J’attendais.

Les kilomètres s’égrenaient  sans aucun signe de faiblesse et Habibaté récupérait
aux contrôles une ou deux minutes plus rapidement que tous ses adversaires. Après
110 bornes seul, mon gris ne se  raidissait pas. Tandis que les observateurs
prévoyaient l’effondrement imminent, confortablement installé dans son galop,
il moulinait.

Avant la dernière boucle (16 km), je cumulais  encore 13 minutes de boni.
Je dis à Emile : « Il va peut-être finir » Réponse : « Finir ou gagner !? » Sur le ton
de quelqu’un qui a affaire à un imbécile !
J’aurais pu facilement accélérer, mais personne ne fut en mesure de m’avertir
que la favorite du Championnat produisait un effort inouï. En 11 km, elle reprit
les 13 minutes et à 3500 mètres de l’arrivée, nous étions deux. Elle jubilait,
certaine de gagner. A cet instant Habibaté commença le sprint. Les deux chevaux
un moment côte à côte filaient à 50 km/h, puis insensiblement, nous prime un mètre,
puis deux, puis dix, puis cinquante pour remporter cette CEI 3* de 25 partants
et le titre. Une petite monture de manège ! Champion de Belgique !
Ali et Jacqueline pleuraient.  Emile et Kristel à qui je dois beaucoup pour
ce jour-là et pour la suite de ma carrière, sincèrement heureux riaient.
Mais le plus amusant fut de téléphoner à ma femme Marie-Anne et de lui annoncer
la victoire. Je me souviens aussi que le lendemain, il fallut qu’Ali enfile mes
chaussettes, tant j’étais courbaturé.

Mauvaises photos, mais souvenirs précieux. Kristel Van den Abeele assure l'assistance. Dans moins d'un mois,
elle sera Championne d'Europe ! Il reste 100 mètres, Habibaté arrive au sprint. Pas du tout fatigué,
on voit nettement qu'il tend sa longe au trotting final.

Quelques semaines plus tard, la Belgique sous la conduite de Pierre Arnould
réussit une prestation à peine croyable en décrochant les deux médailles
d’or au Championnat d’Europe, par équipe et en individuel avec Kristel
Van den Abeele ! Du grand art !

Fin 2005, j’enlevais Jumanji de notre liste de chevaux. Il venait d’échouer  quatre fois.
Sa meilleure performance: 15e sur 24 d’une 100 km à 15.57. Bess Ess Ob le remplaça.
Diego et Khidim s’ajoutaient au piquet, ainsi que Il Ela début 2006.

Equipe nationale

2006, millésime de notre première année internationale. Le team avait pris
ses marques. Je courais toutes les CEI avec Ali (désormais une des meilleures)
à l’assistance.
J’ambitionnais de participer le plus possible aux CEI 3* 160 km (ou 200 km en 2 jours)
car le côté épopée de la discipline me fascinait. Démarrer la nuit ou dans la brume
des petits matins, traverser au galop les paysages variés et franchir la ligne
d’arrivée le soir en ayant frôlé les limites athlétiques du cheval sans les dépasser
m’émouvait et m’excitait terriblement.

J’intégrais les entrainements de l’équipe nationale (on approchait du but !), et nous ne
négligions pas la formation des chevaux du second objectif. Il y avait du pain
sur la planche. Plusieurs cavalières (plus rarement des cavaliers) nous ont aidés, Ali et moi.
J’ai passé des centaines de journées à cheval en agréable compagnie avec Evelyne
Cupers, Sophie Demanez, Stéphanie Schmetz, Stéphanie Collard, Manon Lekeu
et bien d’autres. Beaucoup de ces moments ont enrichi ma tête et mon cœur
et leurs souvenirs suscitent  de la nostalgie.

Le Championnat du monde dans le cadre des jeux équestres mondiaux aurait
lieu à Aachen (à 30 km de chez nous) le jour de mon cinquantième anniversaire.
Pierre Arnould me dit : « Tu es un sérieux candidat pour la sélection ». Dès lors,
je ne pensais qu’à cela ! Anne Pochet réalisait un film documentaire concernant
l’endurance en général, plus précisément sur la préparation d’un grand évènement
en dévoilant le ressenti intime d’un cavalier. Comme elle m’avait choisi, le trio avec
caméramen et preneur de son nous suivait partout. En tant que nouveau au sein
du team Belgique, ce n’était pas la meilleure façon de s’intégrer, car dans une
ambiance morose quelques membres anciens me regardaient de travers,
mais le staff dirigé par Pierre Arnould m’accueillit avec sympathie.

Période pénible. Avec sept ou huit candidats pour cinq places, je voulais tant
en être que je me gâchais la vie pendant des mois. Finalement, avec deux ans
d’avance sur mes optimistes prévisions, je rejoignais l’équipe nationale !

Ce fut un fiasco total. Des dizaines de supporters m’attendaient avec force calicots.
Ils ne me virent pas, je ne les vis pas, car après 30 km tout était fini.  Habibaté boitait !
Peu de temps avant, si désireux de participer à un Championnat du monde, j’avais
refusé une proposition des Emirat Arabes Unis de 30 000 € pour Habibaté.
Mon fils ainé résuma ainsi la situation : « En sommes chaque kilomètre aura couté
1000 € ! Plus les frais habituels ! »
J’étais penaud !

Quatre jours plus tard, Kwinjy touchait au but de sa première CEI 3* 160 km à Compiègne.
En décembre, il ajoutait la grande classique 2 x 100 km de Barcelone à Santa Susanna,
une épreuve qui allait nous réussir souvent.

Khidim avait dû être euthanasié en juin après une fracture survenue au sein du troupeau
à la suite d’un coup de pied. Il venait juste de se qualifier sur 60 km.

Durant quelques années, y consacrant de nombreuses heures, en essayant d’être utile,
je siégeais comme membre des commissions endurance LEWB et FRBSE.
Avec le recul, je ne vois pas précisément ce que je pourrais en dire, sinon qu’il
s’agit de systèmes tournant le plus souvent en vase clos et peu évolutifs. Pierre
Arnould et Annie Mestré payaient beaucoup de leur personne.

En 2007, Jamil et Sahid des Fontaines qui deviendra le meilleur de l’écurie firent
leur apparition  (13e et 14e chevaux du programme). Le 15e arriva en 2008,
Ourasi qui ne fit rien d’intéressant.
May-By fut retiré. Il avait terminé deux CEI 2*120 km, mais bien trop lentement.
Sheytan, absolument fou pendant les pauses et aux contrôles fut lui aussi écarté.
C’était un alezan extrêmement courageux. Un jour j’ai failli le tuer sous moi.
Il galopait franchement lors d’une 160 km. Tout me semblait normal.
Au 135e, il s’est brusquement arrêté, incapable d'avancer d'un pas, les yeux
cramoisis et le cœur à 180 pulsations minute tout en respirant comme
un chien qui halète. J’ai eu vraiment peur. Heureusement il s’en est sorti
sans mal et a recouru.

A Compiègne, sur 160, Habibaté a accompagné les meilleurs jusqu’à 10 km du poteau
et a brillé lors de cette formidable épreuve  pour sa dernière prestation en compétition.
L’année suivante, juste avant de partir vers la CEI 3* 160km d’Ermelo, il a développé
une tendinite qui a mis fin à sa carrière sportive. Comme la plupart des retraités,
il est retourné au manège, tout en conservant un box archi mérité.

Sommet de la parabole

Entre 2007 et 2010, les choses ont continué sur leur lancée. Chaque année,
nous réussissions plusieurs 3 * grâce à  Bess Ess Ob, Kwinjy, Sahid des Fontaines
et le nouveau venu Li Korum (pas repris au programme, car s’agissant d’un
confirmé sur 120 km, il ne rentrait pas dans les critères). Bess Beluschi
( idem que LI Korum) a remplacé l’autre Bess, Bess Ess Ob (pur hasard),
vendu aux EAU. Julie Kinna, super efficace renforçait notre équipe d’intendance.

En décembre 2010, Sahid a décroché le 5e rang à Barcelone (CEI 3* 2 x 100 km)
en galopant vite compte tenu de l’extrême difficulté de cette épreuve. Ce jour-là,
nous nous sommes élevés au niveau des tout meilleurs mondiaux. Comme il n’avait
que 9 ans, nous pouvions prétendre à mieux,  hélas ! cela ne se produisit pas.
Dès lors, mon principal atout ne progressant plus, le lent processus de démotivation
débuta-t-il au milieu de 2011. D’abord à mon insu, puis consciemment à partir
de 2012/2013. Cependant beaucoup de très bons moments nous attendaient encore.

Particulièrement le Championnat d’Europe 2011, notre troisième préparation en vue
d’une grande échéance. En 2010, nous avions seulement été réserve pour le mondial
au Kentucky avec LI Korum. Cela vaut la peine d’être raconté.

Pour limiter le budget, la Belgique avait décidé de n’envoyer aux USA que quatre chevaux
sur les cinq autorisés. Je fis tous les entrainements avec l’équipe nationale et tous
les examens vetos, mais Pierre Arnould choisit quatre autres couples, nous désignant
comme première réserve. Pas de problème, je conservais le sourire.
Plusieurs semaines avant, j’avais plaidé en commission afin d’inscrire les cinq paires
permises. En vain ! J’avais exposé qu’il était fréquent qu’un cheval devienne
soudainement indisponible, surtout après un très long voyage. Or si cela se
produisait, la Belgique participerait avec seulement trois cavaliers et ils devraient
tous terminer en ordre utile pour envisager une médaille par équipe. Une tâche
quasiment impossible. Je disais : «  Quitte à dépenser de l’argent pour déplacer
4 chevaux sans grandes chances de médailles, tentons  plutôt de mieux rentabiliser
notre investissement en dépensant 20% de plus afin d’augmenter sensiblement
nos chances »

Huit jours avant  le transport en avion, Pierre Arnould me téléphone : «Un cheval du
complet s’est blessé ! Il y a une place dans l’avion. Fais tes bagages, tu viens
avec nous au Kentucky ! Simple formalité le véto de la FRBSE, pas celui spécifique
de l’endurance, celui de toutes les disciplines, viendra voir ton cheval LI Korum »
Il est venu un jour que je courais à l’étranger.
Le cheval était bien aux allures, mais en palpant un tendon antérieur, il a déniché
je ne sais où une tendinite. Une tendinite ? Sans gonflement, sans chaleur,
sans boiterie, même après flexion ? Sans échographie ?  Hypocrite, il a dit
à ma fille : « C’est un peu sensible, mais cela devrait aller », tout en rendant le
lendemain un rapport négatif à la Fédé : tendinite ! Pierre Arnould me retéléphone
et annonce : « la fédé ne paiera pas le billet ».
Là-bas, ce qui devait se produire arriva. Un cheval, malade après le transport ne
put concourir normalement, un autre était à peine mieux, une triste bérézina.

Le dimanche suivant le « tendineux » LI Korum gagnait une CEI 3* 160 km en Tchéquie !
Plusieurs mois plus tard, j’appris de la bouche d’un concurrent du complet que la
stalle dans l’avion était demeurée vide, payée malgré tout par la fédé !
Bien belle besogne ! Même si je n’ai jamais pu recouper l’info. La place est-elle vraiment
restée libre dans cet appareil ?


Revenons au Championnat d’Europe 2011 à Florac, une délicieuse satisfaction !
L’atmosphère dans l’équipe (et donc le ressenti général d’un évènement) dépend
essentiellement des personnes sélectionnées et parfois de leur entourage.
En été 2011, Pierrot Di Geronimo, Maritza Pereira, Céline Just et Raphael
Van Cauter constituaient un ensemble formidable. Les assistances, disponibles,
joyeuses et compétentes furent remarquables. A son habitude,  Pierrot Di Geronimo
en individuel sur le fabuleux Mengali réussit une excellente performance quelques
minutes devant notre groupe. Raphael Van Cauter dut rapidement renoncer.

Nous courrons  à trois toutes la journée Céline Just (Jahman), Maritza Pereira
(Lima du Barthas) et moi sur Sahid.  Une bulle amicale descend sur notre trio,
ce genre d’épisode rare, quand chacun se sent en état de grâce et communie
avec les autres. Biberonnée dès son plus jeune âge à l’endurance,  Céline Just
possède une  connaissance approfondie du sport, un sens pointu du tempo
et des possibilités des montures. Avec elle, nous avons pu tirer la quintessence
de nos chevaux.
Pour  une médaille, nous devons terminer tous les trois et sans trainer. Dans les
derniers kilomètres, Jahman boite sur les cailloux et Lima déferrée souffre
de plus en plus d’un pied. Pourtant, après un suspense épouvantable, grâce aux
soins du staff emmené par l’inamovible et dynamique Pierre Arnould, nous
réussissons tous le contrôle final.

Au sein du clan belge, la joie immense que procura notre trophée de bronze par
équipe fut un moment éblouissant. De mon côté, chaque minute de cette journée
reste à jamais précieuse tant je fus heureux en compagnie de Maritza, Céline
et de nos trois fantastiques gris.



Médaille de bronze par équipe au championnat d'Europe 2011 à Florac (FR).
Pierrot Di Geronimo, Michel Lequarré, Céline Just et Maritza Peireira.


Expérience dans le désert très intéressante et amusante, en février 2012, nous
fûmes invités Ali et moi à Abu Dhabi pour la Président Cup, la CEI 3* 160 km la plus
richement dotée de la planète. Je sellais LI Korum qui termina bien puis fut vendu
là-bas. A ma connaissance, il n’a jamais plus couru !

Au Championnat du monde 2012, à Euston Park en Angleterre, notre dernier championnat,
Sahid ne put faire mieux qu’une 43e place (à 18 de moyenne !). L’endurance allait de plus
en plus vite. Le niveau s’améliorait à un rythme incroyable.

Shahill, l’ultime cheval du programme commença ses qualifications.

Sahid des Fontaines

En 2013 et 2014, ni Bess Beluschi, ni Shahill ne parvenaient à se hisser assez haut.
Sahid, excellent réussissait des 160 km, mais pas à l'échelon que j’ambitionnais.
Il me faut parler un peu de lui.

Sauf avant 14 ans, j’ai monté toute ma vie. Aucun cheval ne m’a jamais fait
peur… jusqu’à Sahid !
Paniqueur hystérique, il voit mal, tout en étant extrêmement sur l’œil. Lorsque
Sahid est en tête, ou seul, ces trois particularités forment un cocktail détonant !
Quand il s’effraye subitement d’un objet ou d’un morceau de plastique
(quelques centimètres carrés suffisent), pendant 2 ou 3 secondes il perd complètement
les pédales.
Scènes vécues. Derrière un virage un bout de rubalise de 30 centimètres vole au
vent à notre gauche. Sahid se jette dans la clôture de barbelés à droite, l’emmène
avec lui, les fils hérissés raclent son poitrail, les piquets se détachent comme des
fétus de paille, il galope, arrache une seconde clôture en barbelés
( je tombe à ce moment-là) et revient vers son box droit devant, comme un pigeon,
en détruisant quatre rangs métalliques  supplémentaires ! Heureusement,
il guérira en moins d’un mois. L’automne suivant, quelques brins d’une taille
d’aubépines se prennent dans la queue. Il dévale une pente empierrée au triple
galop, puis décide brutalement d’exécuter un demi-tour instantané (sa spécialité)
qui me propulse très violemment sur les cailloux. Pour moi trois semaines sans
marcher. Pour lui un retour frénétique vers la maison, dans la circulation !

Il me blessa plusieurs autres fois, de sorte que je perdis complètement le plaisir
de le monter. Il fallait constamment se maintenir aux aguets, aucune relaxation
possible. Ma  confiance s’évanouissait. Il m’arrivait de le détester !

Par contre, en compétition le problème disparaissait presque complètement.
Il a été le crack de l’écurie (toute proportion gardée) en affichant son nom
aux classements de 11 CEI 3* 160 km ou plus. Une performance laissée à
l’appréciation des connaisseurs ! Pourtant, il n’est pas inexact d’écrire
que Sahid a précipité en partie ma fin de carrière.



Fin et conclusions, 23 CEI 3*

En décembre 2014, à Santa Susanna - Barcelone , dans la chambre d’hôtel,
après la première journée de 100 km avec Sahid, je sentis mon ventre se
contracter. A l’idée de recommencer la même chose le lendemain, je souffrais
presque de nausée. Je n’étais pas fatigué physiquement (de ce côté, j’ai
toujours assumé), mais moralement j’en avais plus qu’assez ! Nous nous
classâmes à Santa Susanna pour la quatrième fois, mais quelques jours
plus tard j’annonçais à Ali que le championnat de Belgique 2015 à Mont-le-Soie
serait ma course d’adieux.

Malheureusement, ce jour-là, Sahid qui n’avait jamais été éliminé (21 départs,
19 arrivées, deux abandons) victime d’un faux mouvement s’est trouvé sur
trois jambes après 20 km.

Je m’octroyais une ultime possibilité de partir en beauté en m’alignant sur la
CEI 3*  160 km  à Ermelo.  Sahid boita après 3 boucles. Les bons moments se
rangeaient décidément derrière moi.

Sahid des Fontaines, lui n’a pas dit son dernier mot. Ali (qui l’adore) ambitionne
de réussir une 160 km. En octobre 2015, elle s’est qualifiée à Madine en
France, 5e rang de la CEI 2* 120 km et meilleure condition !  Au printemps 2016,
le cheval aura 15 ans.  On verra ce que cela donne. Ensuite la page endurance
qui a tant compté pour moi sera définitivement tournée.

Quel bilan tirer du programme de mise en compétition des chevaux arabes ou part
arabes choisis en négligeant leurs origines ? LI Korum et Bess Beluschi, ne répondant
pas aux critères, car achetés pour leurs performances passées ne sont pas pris
en considération ici.
Au départ en 2002, 10 sujets étaient prévus. Finalement 16 ont été essayés entre
2002 et 2014, tous soumis à des entrainements, et à une alimentation identique, etc.
Nous nous sommes efforcés de très bien les former et de procurer les soins adéquats.
Au moment de leur acquisition aucun n’avait jamais couru, sauf un (40 km).
Environ la moitié d’entre eux n’étaient pas débourrés. La plupart étaient des pur-sang
arabes, quelques part arabes et même deux sans-papiers, mais fortement arabisés.
Le prix payé va de 1200 à 4000 €, en moyenne 2615 €. Il n’y a eu aucune visite d’achat.

Six chevaux n’ont presque rien réussi (37.5%), six autres se sont classés
sur des CEI de 80 à 120 km, enfin quatre (25%) ont accédé au stade ultime
de 160 km, parmi eux un champion de Belgique et un médaillé aux championnats
d’Europe qui a en outre touché au but de 11 CEI  3* 160 ou 2x 100 .
A chacun de tirer les enseignements de cette passionnante expérience. Mais pour
récolter des conclusions probantes, il  aurait fallu une autre étude en parallèle.
On aurait mis en compétition 16 chevaux triés sur le volet concernant les origines
et l’état de santé. Alors la comparaison aurait été possible.

Voici mon sentiment. Pour essayer des chevaux bien nés uniquement,
une mise de départ nettement plus élevée serait obligatoire.  Malgré cela,
il m’étonnerait que parmi ceux-ci plus de 50 %  atteignent le niveau 160 km.
Supposons ce palier de 50%.
Il suffirait de travailler huit sujets afin d’en obtenir quatre de CEI 160 km.
Soit plus d’argent investi pour l’achat, mais beaucoup moins de frais d’entretien,
d’inscription, de voyage, d’hôtel, etc. Et la moitié de travail en moins ! Si je devais
recommencer, c’est dans cette seconde voie que je m’engagerais ! D’ailleurs
en intégrant LI Korum et Bess Beluschi  dans mon piquet dès 2010 j’avais amorcé
cette manière de faire. Cependant, avec ce projet un peu fou d’essayer ce nombre
important de montures, mes chevaux et moi sommes parvenus 23 fois au terme
de CEI 160 km ou 2x 100 km entre 2005 et 2014. C'est une forte satisfaction !

Remerciements

En quittant ce milieu, je souhaite citer des gens que j’ai appréciés. Mon ami
du nord de la France, Vincent Dupont, charmant, intelligent, vainqueur à Florac,
éleveur hors pair. Pierre Arnould, charismatique, omniprésent, ambitieux pour son pays.
Les cavaliers, propriétaires, éleveurs, vétérinaires, juges, devenus au fil du temps
des personnes que j’aimais retrouver : Maritza Pereira, Céline Just, Pierrot Di Geronimo,
Raoul Ronsmans, Marcel et Huguette Rossius (qui m’ont renseigné Sahid), Peter Wijnendaele ,
Pascal Lejeune,Carl Duchêne, Karin Boulanger, Kristel Van den Abeele, Emile Docquier,
Thierry Hannoset, Dominique Evrard, Dominique De Re, Annie Mestré, Martial Richelle,
Nelly Philippot, Dirk Coolen, Freddy Meurens, Alazné, Aurélie Wery, Anne Cuvelier,
Maud Van Assche, Jean-Marie Beckers, Albert Ringele, Dirk Blieck, Léo Liesens,
Jacques Arnould, Elisa Arnould, Rachel Jaumotte, Philippe Maquet, Jean-Marc Lamolle,
Nadine Duchesne, Nicolas Tibesar … Je demande pardon à ceux que j’oublie !

J’ai parlé des familles essentielles à l’endurance Belge et envers lesquelles je
conçois une admiration sans bornes et un grand respect : Jacques, Gene Boulanger
et leur fille Morgane. Jean, Laura et Marlies Houassin. Le très nombreux clan Van Cauter.
Barbara Bienfait, Robert Antoine et leur fille Olivia. Et les familles Guerrisse, Hoebeke,
Yernaux, De Wasseige, Willeme…
Toutes ces personnes vibrent d’une passion intense pour les chevaux et le sport.
Leur force de caractère, leur patience et leur ténacité face aux fréquents coups du
sort indissociables de cette endurance qui peut être féroce, toujours dévoreuse
de temps, ainsi que les moyens financiers consacrés et leur inépuisable énergie
m’ont épaté sans cesse.

Les amis du Bois du Roi, avec leurs  années d’encouragement et leurs centaines
d’heures bénévoles  m’ont souvent réchauffé le cœur, je les en remercie chaleureusement.

Evidemment, à l’heure des reconnaissances je pense à Alienor Linotte qui a porté
cette belle aventure à bout de bras, inlassablement présente pendant 13 ans,
généreuse jusqu’à l’abnégation, parfaite à tous points de vue. Mille mercis Ali !

Enfin,  sa présence indéfectible étant la source de tout, je ne saurais écrire ici
à quel point ma femme Marie-Anne compte pour moi. Sans son soutien,
rien ne prendrait l'envol.

Michel Lequarré


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